Investi par les pionniers à cheval appelés gauchos, le pays le plus au sud du monde avec le Chili, s’étend sur près de quatre mille kilomètres, depuis les touffeurs tropicales de la province de Misiones, au nord, jusqu’aux solitudes glacées de la terre de feu. Sur cet immense territoire on trouve à peine trente millions d’hommes dont le tiers habite dans la capitale, Buenos Aires.
Il y a deux mondes en Argentine. Le premier, couvert de zones de montagne dont l’Aconcagua à plus de six mille mètres et de vastes plaines et plateaux qui progressivement s’élèvent jusqu’à la cordillère des Andes. Cette chaîne constitue une barrière infranchissable avec le Chili. Ces sommets donnent naissance à quelques sites dont le plus majestueux est celui des chutes d’Iguaçu qui se trouvent au point de rencontre du Brésil, du Paraguay et de l’Argentine. Le second, constitue la zone de la Pampa. Une immensité de terres plates comme le dos d’une main recouverte d’une herbe rase que peuple une population de cavaliers et qui se perd au sud dans une sorte de vide sidéral parsemé de quelques noyaux urbains.
Dans la «géographie folle» de cet immense triangle, tête en bas, grand comme la moitié de l’Europe, qui s’aligne des Tropiques à la Terre de feu, l’extrême variété des climats permet de trouver, quel que soit la saison, des paysages étonnants.
Cette géographie éveille chez les Argentins le vertige d’une nation sans limites. Après quatre siècles d’histoire, l’Argentine est toujours à la poursuite de son unité. Elle se proclamerait volontiers «seul pays blanc au sud du Canada». Ce serait laisser pour compte ces hommes du nord aux yeux bridés, au teint foncé, aux cheveux en baguettes de tambour et l’allure proprement bolivienne des Indiennes, coiffées d’étranges petits chapeaux melons noirs, la taille prise par quatre ou cinq jupons superposés. On ne peut oublier non plus les vigognes et les lamas, les uns et les autres inséparables de la plainte aiguë, sautillante et mélancolique des «carnavalitos», où la population indienne a intégré le christianisme espagnol aux adorations solaires de son propre univers.
L’autre face de l’Argentine, c’est la vie et l’étrange mélancolie qui donna naissance un jour au tango. Les «porteños», habitants de Buenos Aires, ont inventé un art de vie unique qui s’organise autour de multiples pause-café. En leur compagnie on ne sait quand se termine la conversation et où commencent la littérature et le tango. Cette musique plaintive, qui regrette toutes les choses qu’on aimait, trouve son origine dans les bouges du port et dans la fumée âcre des cigarettes. Ici a fait souche une population d’émigrés venue le plus souvent des pays méditerranéens, refoulée jusque-là par une sorte de marée triste qui est celle de l’ennui et de l’échec.
Alors, s’est installé ce vague à l’âme dont on dit aujourd’hui qu’il est inséparable de l’Argentine. Sur les ports chantent les violons et les bandonéons, même si pour dépasser cette misère la vie dans les cafés est indispensable au «porteño». Il y cultive son goût d’un chic fantôme, celui d’une Europe imaginée depuis les antipodes. Entre montagnes glacées et touffeur glauque des ports, se pose la question de comment être Argentin. La culture constitue alors le dernier rempart contre le chaos. C’est tout le défi du spectacle du Gran Ballet Argentino de Miguel Angel TAPIA.